Après les directives du président Aoun, que peut faire l'armée libanaise contre Tsahal ?
© Getty ImagesJoseph Aoun autorise pour la première fois l’armée libanaise à riposter à Israël après une incursion meurtrière à Blida. Une décision historique, saluée par le Hezbollah mais jugée risquée par les observateurs. Entre souveraineté retrouvée et peur de l’escalade, le Liban cherche l’équilibre entre fermeté militaire et prudence diplomatique.
Pour la première fois depuis des décennies, l’armée libanaise est autorisée à répondre militairement à Israël. Le 30 octobre, le président Joseph Aoun a ordonné au commandant en chef, le général Rodolphe Haykal, de riposter à toute incursion israélienne au Sud-Liban, après la mort d’un employé municipal lors d’une infiltration à Blida.
Cette directive marque une rupture historique : jusqu’ici, la troupe s’était tenue à l’écart du conflit, laissant le Hezbollah affronter directement Tsahal. Désormais, l’armée pourra aussi tirer sur les drones israéliens survolant les zones agricoles, sans plus passer par le « mécanisme » de coordination du cessez-le-feu mis en place avec la Finul et les alliés occidentaux après novembre 2024.
Cette évolution traduit la lassitude du commandement libanais face aux violations répétées d’Israël, accusé d’agir « sans respecter la moindre procédure ». Selon une source militaire interviewée par L'Orient-Le Jour, il ne s’agit plus seulement d’une posture symbolique : « Nous ne permettrons plus que nos citoyens soient terrorisés sur leur propre terrain. » Une première démonstration de fermeté a déjà eu lieu près de Meis el-Jabal, où les deux armées se sont brièvement fait face avant un retrait israélien.
« Le Liban n’est pas un terrain de foot »
Mais la décision de Joseph Aoun suscite des inquiétudes. Plusieurs observateurs craignent qu’un incident mineur ne serve de prétexte à une guerre ouverte, cette fois contre l’État libanais lui-même et non plus seulement contre le Hezbollah. Le chef de l’État invoque cependant le droit international, rappelant qu’un pays a le devoir de défendre son territoire en cas de violation. Pour des officiers à la retraite, comme Khalil Gemayel, le message est clair : « Le Liban n’est pas un terrain de foot. L’armée doit défendre le prestige national. »
Certains y voient aussi une manœuvre politique : un moyen de regagner la confiance de la population du Sud et de réaffirmer le monopole légitime de la force par l’État, face à un Hezbollah toujours dominant militairement. Le tandem chiite, tout en saluant la démarche, y trouve l’occasion de légitimer sa propre présence sur le terrain. Toutefois, à Baabda, on assure que cette initiative ne vise pas à flatter le parti pro-iranien, mais à réaffirmer la souveraineté nationale.
Malgré les mots d’ordre martiaux, une guerre totale reste improbable. Les milieux militaires insistent sur la nécessité d’éviter tout engrenage et misent sur la diplomatie. Joseph Aoun lui-même l’a rappelé : « Le Liban n’a d’autre option que la négociation. » Le président de la Chambre, Nabih Berry, s’est joint à cet appel, se disant favorable à l’intégration de civils au « mécanisme » de surveillance, pour renouer le dialogue avec Tel Aviv.
Cette initiative inédite illustre à la fois la fragilité du Liban et sa volonté de restaurer son autorité sur un territoire fragmenté. Entre affirmation souveraine et calcul politique, Joseph Aoun marche sur une ligne de crête, espérant éviter que la riposte nationale ne se transforme en embrasement régional.